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11 mai 2014 7 11 /05 /mai /2014 19:50

 

6060432934 35ac9b830a oIl y a des sortes de principes, de logiques que l'on retrouve fréquemment. Des éléments de langage qui trahissent souvent des visions du monde plus profondes. Chez les hommes politiques et dans une moindre mesure les journalistes elles sont plus que fréquentes, elle sont systématiques.

 

L'une d'entre elles semblent pouvoir traverser allègrement tout le paysage politique, celle de l'internet à civiliser.

 

Si cette expression se retrouve pour la première fois en France dans les débats sur Hadopi et particulièrement dans la bouche de Nicolas Sarkozy :

 

« Nous allons mettre sur la table une question centrale, celle de l'Internet civilisé, je ne dis pas de l'internet régulé, je dis de l'internet civilisé »

 

Elle remonte à une logique bien plus ancienne et se poursuivant bien au delà. Celle d'Internet « zone de non-droit », sans régulation.

 

Ainsi la posture aujourd'hui de Jean-Vincent Placé au micro d'ailleurs de Frédéric Haziza sur Radio J., journaliste victime de propos antisémites, n'en est que l'un des avatars :

 

« On ne peut plus laisser faire, laisser tous ces gens insulter, diffamer sur les réseaux sociaux »

« Cette espace de liberté formidable (...) ça ne veut pas dire la liberté d'insulter, de diffamer et d'injurier »

 

En somme la posture du Sénateur est la même depuis quasiment la création d'Internet. Comme l'espace n'est pas régulé et surtout régulé par la loi il faut créer des lois et surtout des nouvelles qui corrigeront cela.

 

Nous n'oublierons pas au passage que cette perspective survient du fait de la croyance régulière dans le pouvoir de la loi, très française. En somme l'idée que la création même de la loi peut régler tout les problèmes. La frénésie législative s'expliquant en partie par ce phénomène. Pour marquer son temps il faut faire sa Loi.

 

L'autre logique qui s'étend ici provient donc de l'idée qu'Internet est une zone de non-droit mais surtout une zone barbare. Elle repose donc sur le concept qu'aucune règle, loi ou norme surtout nationales ne s'y répande.

 

C'est d'abord et avant tout balayer l'idée même que les règles et normes se forment dès l'instant où se trouvent ensemble des individus afin de s'organiser, interagir, vivre ensemble. Et comme nous l'avons vu Internet est un « espace social instrumenté » ferment même de ce principe.

 

Deuxièmement c'est nier le fait même que des lois et donc la souveraineté des États s'appliquent déjà sur Internet. Premièrement c'est déjà le cas par l'architecture et l'infrastructure des réseaux et deuxièmement c'est considérer que ce qui a été déjà fait fut au mieux inefficace voir inutile. Car des lois, actes réglementaires, conventions internationales pouvant s'appliquer à Internet il y en a pléthore. Petit florilège :

 

Article 9-1 du Code Civil relatif à la présomption d'innocence

Article 9 relatif au respect de la vie privée

Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN)

Directive n° 2000/31/CE du Parlement et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur. (LCEN transposition)

Loi n° 2009-1311 du 28 octobre 2009 relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet (1)

Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés

Loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet (1) (Hadopi)

Loi n° 2009-1311 du 28 octobre 2009 relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet (1) (consolidant la première Hadopi)

Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse  : sur menaces, incitation à la haine, diffamation, apologie des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité,...

Loi n° 90-615 du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe

Cour de cassation Chambre criminelle Arrêt du 27 octobre 2009 (condamnation du full disclosure)

Art. L 122-5 2° du Code de Propriété Intellectuelle (Copie privée)

Loi n° 2002-1094 du 29 août 2002 d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (1) (LOPSI 1)

Loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (1) (LOPPSI 2)

Articles Art. 226-15 et Art. 432-9 du Code Pénal et L 33-1 du Code des postes et des communications électroniques (violation du secret de la correspondance)

Loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie (1)

Loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs (1)

Loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance (1)

L'ensemble du code des postes et des communications électroniques

Loi n° 2006-961 du 1 août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (1)

Article 413-3 du Code Pénal  : Démoralisation des forces militaires

Article 413-9 et suivants du Code Pénal  : Atteinte au secret de la défense nationale

Article 434-15-2 du Code Pénal  : cryptologie

Article 313-1 et suivants du Code Pénal: Escroquerie

Loi n°98-468 du 17 juin 1998 Relative à la présentation et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineursLoi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne (1)

Loi n°88-19 du 5 Janvier 1988 relative à la fraude numérique (1)

Loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne

Article 226-18 du Code Pénal (collecte frauduleuse de données à caractère personnel)

 

 

En l'espèce on se demande donc quelle mouche a piqué Jean-Vincent Placé. En effet il est bien évident que sur des réseaux sociaux ou ailleurs il est tout à fait possible de sanctionner des insultes, surtout si nous y ajoutons un caractère raciste. Ainsi c'est la loi du 29 Juillet 1881 sur la Liberté de la presse qui prévoit de telles sanctions. Qui plus est la Loi Perben II a porté le délai de prescription à ce sujet de deux mois à un an. Elle prévoit d'ailleurs six mois d'emprisonnement et 25000 euros d'amende pour des injures racistes portées à l'égard de membres des chambres législatives ce qui est le cas d'espèce. Pour une zone de non-droit c'est tout de même très étrange.

 

La réalité de cette théorie s'appuie en fait sur l'inapplication des nombreuses procédures judiciaires possibles au fait qui ont eu lieu sur Internet. Inapplication par les victimes ou les procureurs notamment. Aidés en cela par leur ignorance du fonctionnement et de la lenteur incommensurable de cette même justice. Mais ici rien à voir avec un Internet à civiliser. Non nous avons affaire simplement à une société qui a du mal à s'adapter et qui souffre de nombreux problèmes structurels et de moyens en la matière.

 

Et pourtant cette vision civilisationnelle se poursuit. Vision qui s'accompagne d'un versant logique bien que gênant, le syndrome de la Tour d'Ivoire. Le syndrome de la Tour d'Ivoire est l'idée ou syndrome du Château Fort est l'idée quand se barricadant de la chose, en l'enfermant et en le cloisonnant on peut éviter le danger dû à ses phénomènes sociaux. En somme extraire Internet de la société ou de sa société sauvera la société. C'est aussi par ce syndrome qu'au lieu d'aller imposer la justice et la police dans Internet on a préféré imposer des critères très arbitraires et privés de censure par exemple à Twitter.

 

Autre exemple se poursuivant par notamment « l'Acte II de l'exception culturelle » preuve qu'ici la justice et la police on une place secondaire (pour une action à portée civilisationnelle nous repasserons) la future place du CSA dans la régulation d'Internet. Émergeant suite à un lobbying acharné et efficace celui-ci profil la volonté souvent mise en avant de protection des mineurs et des catégories considérées comme minorités, faibles ou victimes. Entre la volonté de cette institution zombie de survivre et le danger totemique de ce que l'on nomme pour se moquer les pédo-nazis, la logique elle perdure tranquillement.

 

Peut importe alors la réalité physique de l'environnement, l'efficacité d'une telle procédure et les dangers qu'elle recouvre, car de toute manière il faut civiliser Internet.

 

 

Photo par Kristina Alexanderson en Creatives Commons : https://www.flickr.com/photos/kalexanderson/

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